La famille Poirot est implantée à Mirecourt depuis
plus de trois cents ans, le plus ancien ancêtre connu à ce jour est
Nicolas Poirot, né vers1630. Son fils, Charles Pierre Poirot naît vers 1686 et est également Avocat à la Cour. Il épouse Françoise Poncet le 9 janvier 1712 et décède le 27 juillet 1759 à l'age de 73 ans. Charles et Françoise ont un fils prénommé également Charles qui nait le 12 mai 1717. Ci-dessous, en date du 23 septembre 1741 un
extrait de son acte de naissance.
Source familiale, dépôt Archives Départementales des Vosges, 240J5 Charles sera comme son père et son grand-père Avocat à la Cour au Baillage Royal de Mirecourt. Dans l'inventaire des Archives Départmentales antérieures à 1790 (ML Duhamel), on peut lire au sujet de l'avocat à la Cour Charles Poirot:
La numérisation par
Google présente souvent des erreures typographiques comme le montre la
date du "24 mai 4740" et prête à
confusion. En effet, Charles Poirot épouse Marie Jeanne Bailli le 3 septembre 1743 comme le précise leur acte de mariage (AD des Vosges). Charles est aussi Régent des Humanités. A ce titre il logera dans la tour Evrot Sachot rue du Bougeot comme le précise le plan de 1751 de JB Dubois (AD Meurthe et Moselle B-11-815).
De cette union naît Nicolas Poirot le 9 septembre 1749. Nicolas, marchand est également Avocat à la Cour. Il épouse Marie Françoise Denis le 24 janvier 1769. Nicolas et Marie Françoise donnent naissance au premier facteur d'orgue de la famille, Nicolas Poirot.
Nicolas Poirot (31 août 1771 - 4 juin 1821) Le 31 août 1771 naît donc le premier facteur
d'orgues de la lignée Poirot. Nicolas épouse une dentellière, Jeanne Nicolas
en 1805 à Mirecourt. Sur les documents ci-dessous, la signature en triangle de Didier Nicolas: "A la Ville de Crémone - D. Nicolas ainé"
Jeanne et Nicolas ont 3 enfants dont Didier Poirot. La fondation de la maison Poirot par Nicolas daterait de 1806 selon un compte rendu de l'exposition technologique de 1884 (voir dans la partie consacrée à Victor Poirot). Cette date est contredite par l'Annuaire français de la facture instrumentale, de l'édition musicale et des des industries qui s'y rattachent selon lequel la maison Poirot aurait été fondée en 1812.Annuaire français de la facture instrumentale, de l'édition musicale et des des industries qui s'y rattachent - Première année 1913, Edité par Musique et instruments Source: http://jeanluc.matte.free.fr/articles/typologie/1913/1913.htm ? target="_blank Nicolas signe ses
fabrications à l'aide d'un tampon que l'on peut trouver sur le soufflet ou
sous le chariot du cylindre de certains orgues. Celui-ci précise: Il est amusant de noter la publication de la publicité ci-dessous 3 ans après son décès. Et ceux qui ont la chance de posséder aujourd'hui un de ses instruments sont certainement encore "contens de son exactitude et de son travail" !
Didier Poirot (26 juillet 1806 - 1er juin 1894) Né en 1806 à Mirecourt, Didier Poirot suit les traces de
son père Nicolas comme facteur de serinettes et d'orgues à cylindres.
Alors que Lété s'installe à
Mirecourt, Didier rachète son
atelier parisien le 29 avril 1838 pour la somme de 5400
francs. L'acte de cette transaction fait état de la présence de
23 orgues, 29 serinettes, 90 guitares, 143 violons
et 3 basses ainsi que des accessoires tels que cordes, chevalets,
archets, étuis.
Didier obtient en 1844 une médaille de bronze à
l'Exposition Industrielle de Paris: Extrait de : On
retrouve mention de ce même orgue de chapelle "se jouant à la manivelle
mais aussi au clavier" dans la Revue Scientifique et Industrielle de 1844, plus
particulièrement du chapitre consacré aux Etudes Techniques sur
l'Exposition des Produits de l'Industrie Française en 1844 rédigé par N.
Baquillon, bibliothécaire du Conservatoire des arts et métiers.
Extrait de: Revue Scientifique et Industrielle, Tome 1 -Deuxième série, volume 17 (1844), page 419. Cette médaille est également mentionnée dans
la Revue et Gazette
Musicale n° 31 du 4 août 1844.
Parallèlement à son activité parisienne, Didier
ouvre un atelier à Mirecourt en 1846. Adèle est la fille du luthier Louis-Joseph Paquin dit Saint-Germain, connu en lutherie sous le nom de Joseph Germain, et soeur du luthier Emile Germain (un registre des commandes et des clients d'Emile est visible dans le fond Bonetat aux archives départementales des Vosges). Adèle et Didier donnent naissance à 8 enfants. Photo de famille de Didier Poirot,
prise vraisemblablement entre
1860 et 1862
Même photo après colorisation
Didier rapatrie ensuite ses ateliers à Mirecourt au 1, avenue des Vosges (actuelle avenue Duchêne), tout en gardant son magasin à Paris (374, rue Saint-Denis). Alors qu’en février 1848 il a douze ouvriers, il n’en aura plus que à six en 1849 pour de nouveau avoir douze en atelier et autant en ville en 1855. Didier emploie également des luthiers (Charles Lotte et Hypolite Charotte, beau père de son fils Georges) dont il vend les productions. Doté d'un caractère difficile, ses colères étaient célèbres: un ouvrier courait alors à l'appartement, "Madame ! Monsieur est en colère !" La douce Adèle descendait et les mains sagement croisées sur sa crinoline de soie noire s'exclamait: "Comme vous me chagrinez, mon ami !" et la colère tombait... Le travail de Didier s'exporte jusqu'en Amérique et à l'île Maurice où vit un oncle de sa femme ainsi qu'en Australie comme le laisse penser cette petite annonce parue le 4 décembre 1886 dans l'Evening News de Sydney. http://nla.gov.au/nla.news-page11926298 https://trove.nla.gov.au/newspaper/page/11926298 "MUSICAL NOTICE.— To Showmen, & c— For SALE, a Barrel ORGAN, by D. Poirot, Paris, containing brass trumpets, metal pipes, drum, and bells, plays 27 airs, marches, quadrilles, waltzes, & c, 4 stops, very powerful and effective, in splendid order, price £18, a gift, cost £50. Address 29, Botany st, S. Hills." Didier fait également commerce de vin à l'image de nombreux marchands d'instruments de Mirecourt, où le vin sert de monnaie d'échange. En 1862, il expose contrebasses, violoncelles, alto, violons et orgues à manivelle à l'Exposition Universelle de Londres. L'extrait suivant de Section française. Catalogue officiel – International exhibition 1862 précise également que 80% de sa production de 1862 est exportée. On trouve encore quelques annonces dans l'Annuaire général du commerce et de l'industrie, ou almanach des 500 000 adresses de 1855 (p666 et p670), ainsi que de 1862, p971.
Puis en 1865, entraîné par la chute et la dissolution de la Société Thibouville, son principal débiteur, c’est le dépôt de bilan. La faillite néanmoins jugée excusable par le tribunal de commerce (Série 7U42 AD des Vosges) lui évitera l'incarcération mais il perd le droit de signer ses instruments qui porteront désormais la marque « F.D.POIROT », FD pour Femme Didier Poirot. En 1867, il installe alors ses ateliers Quai du Vieux Cimetière et vient y résider. Ci-dessous une gravure de JB Ravignat (1803-1875) probablement réalisée entre 1831 et 1839 alors que l'auteur séjourne à Remiremont, représentant une vue de Mirecourt et le relais de chasse des Ducs de Lorraine où Didier s'installera quelques années plus tard.
La maison Poirot quai du Vieux Cimetière devenu par la suite quai François Clasquin.
Didier ne construit que très peu d'orgues d'église: les seuls exemplaires connus sont ceux d'Uxegney, en 1870 (selon une tradition familiale) et de Saint-Julien-les-Villas, dans l'Aube (1872).
Les fils de Didier suivent tous des cours de musique à Nancy (harmonie et contre-point), mais aussi des cours d'architecture afin que les plans des orgues soient parfaits. Didier meurt en 1894. La manufacture d'orgue est alors reprise par ses fils.
La famille de Didier au complet. 2ème rang: 3ème rang: incertain. Les 5 frères reprenant la succession de Didier
sous le nom de Poirot-Frères sont tous sur cette photo.
Victor Poirot (11 novembre 1850 - 24 décembre 1934)
C'est donc sous
le nom de Poirot-Frères que
l'aventure de la facture d'orgue contine. C'est alors l'âge d'or de la
maison qui aura pour réputation de fabriquer "les
plus beaux instruments du monde" selon Alain Vian, antiquaire en
instruments de musique et frère de l'écrivain Boris Vian.
Note B. Poirot: La date de naissance mentionnée sur cette photo est erronée. Georges nait le 24 avril 1849. Par ailleurs, après examen de plusieurs photos, il apparaît que c'est plutôt Auguste Marie Gabriel (1856-1897), son frère, qui est représenté ici.
Ci-dessous un exemple de leur production. Les musiciens de part et d'autre ont été retrouvés fortuitement à la salle des ventes de Chartres !
Puis vient l'Exposition Universelle de Paris en
1889 où Poirot Frères, qui ne sont plus que deux, (Georges, Auguste et Jules
étant décédés) présentent des orgues à cylindres et à touches.
Source familiale, dépôt Archives Départementales des Vosges, 240J20 Mais Victor se retrouve rapidement seul à la tête de la maison Poirot-Frères après le décès de son dernier frère, Gabrièle. La clientèle des forains étant très demandeuse, Victor fabrique de nombreux orgues de manèges, mais aussi des orgues de salon. Pourtant, préférant la routine, il se refuse à faire des orgues à cartons. Schéma d'un orgue 72 touches pour un carrousel:
Source familiale, dépôt Archives Départementales des Vosges, 240J37
Croquis d'une commande sur papier à entête:
Source familiale, dépôt Archives Départementales des Vosges, 240J37
Ci-dessous un extrait du registre des courriers de la Maison Poirot (août 1880):
Source familiale, dépôt Archives Départementales des Vosges, 240J25 Retranscription du
texte:
Source familiale, dépôt Archives Départementales des Vosges, 240J6 C'est d'ailleurs par ces échanges commerciaux que se développe l'engouement des orgues à Cuba. Don Francisco Borbolla (Don Pancho Borbolla) enverra l'un de ses fils, Francisco Borbolla, en apprentissage à Paris chez Poirot-Frères comme en témoigne le courrier suivant daté du 12 mai 1906. Sur ce courrier on peut lire que Francisco embarquera le 17 mai pour se rendre à Paris.
Source familiale, dépôt Archives Départementales des Vosges, 240J6
Traduction figurant au dos du courrier. Le plus jeune fils de Francisco, Carlos, sera
également envoyé en France pour y faire ses études. La famille Borbolla
fabriquera ainsi des orgues dont ils adapteront les sonorités à la
musique cubaine. Poirot-Frères exporte également en Algérie comme le précise la publicité suivante.
Source familiale, dépôt Archives Départementales des Vosges, 240J36 Ce n'est que peu de temps avant l'interruption des activités que l'on trouve mention d'orgue à lecture sur carton. En effet, dans l'annuaire des Vosges de 1911 sous Poirot Freres on peut lire "orgue à cylindre et lecture sur carton". Sur celui de 1907, la mention de lecture sur carton n'y figure pas. La fabrication des 1er cartons Poirot peut donc se situer entre 1907 et 1911.
Source: Annuaire des Voges, 1911, page 377 - Limédia Galerie De noter que le numéro de téléphone n'y est pas encore mentionné, l'installation du téléphone étant plus tardive.
L'atelier fonctionne ainsi jusqu'en 1914 avec jusqu'à 25 ouvriers, la guerre ne laissant que peu de place aux fêtes foraines.
Victor Poirot, son épouse Marie Eugénie Poirot née Gros (à sa gauche) et leurs 3 enfants: assis au sol de part et d'autre de la photo Georges (à gauche) et Gabriel (à droite), Elisabeth sur les genoux de son père. Au centre assise au sol, leur cousine Gabrielle Poirot, fille de Auguste-Marie-Gabriel Poirot et de Marie-Emilie Gros (à la gauche de sa soeur Marie). A droite, accoudée sur le jeu de palets, Mme Clasquin. Photo de François Clasquin (vers 1903-1904), avec l'aimable autorisation de Brigitte Hellio-Caquelin
Victor meurt le 24 décembre 1934 le jour des funérailles de son épouse Marie, décédée le 21 décembre. Georges Poirot dit le Zoun (19 novembre 1896 - 16 janvier 1954)
Fils aîné de Victor, "Georges était un personnage truculent et
anticonformiste, ayant le verbe haut et l'injure facile", raconte sa
nièce Evelyne Bonetat dans Regain, le bulletin des Amis du Vieux
Mirecourt. A la fin de la Première Guerre mondiale, Georges va
faire un tour à la foire de Nancy. Là, il s'entend dire: "La
maison Poirot ? Mais elle n'existe plus !" Victor lui fait don de l'affaire devant notaire, qui devient: "Maison Poirot Frères, Georges Poirot successeur. Georges s'y met avec conviction à l'aide de son père et de vieux ouvriers. Dès 1919 il réalise des orgues à cartons tout en demeurant un des seuls à pouvoir encore fabriquer un instrument à cylindre. De noter que tous les cartons où figurent le numéro de téléphone 164 sont de l'époque de Georges.
Au prix d'un travail acharné, il réussit à se constituer une belle clientèle foraine et fournit aussi l'ancienne clientèle de son père se trouvant à Cuba, au Chili, en Argentine et à l'île de la Réunion.
En 1932 Georges engage Camille Tourel comme noteur et
Charles Ceurin comme ébéniste.
"C'était le chef de la musique Municipale de Mirecourt. Il m'a dit que les arrangements de ses prédécesseurs étaient antiques et solennels et il a changé complètement de genre. Il faisait preuve d'imagination et de fantaisie et ses cartons sont franchement agréables. Avec son talent, il dissimulait très bien les demi-tons manquants (des 49 touches par exemple) et l'auditeur ne s'apercevait guère de la supercherie." Ci-dessous
une photo de la Musique Municipale de Mirecourt (date inconnue).
La Musique Municipale de Mirecourt devant la caisse d'épargne. Camille Tourel est
le second en partant de la gauche au premier rang, derrière le tuba. J-M Moirtot de poursuivre: "Camille m'a dit également ceci:
De 1932 à 1939, la "Maison Poirot-Frères, Georges
Poirot successeur" est assaillie par les commandes. Il fallait travailler
la nuit et les dimanches pour honorer les demandes. Avec la Seconde Guerre
Mondiale, les fêtes foraines se font rare et la fabrication est arrêtée."
Georges travail le temps de la guerre à la Compagnie de
l'Electricité de l'Est et se met au service de l'hôpital militaire et des
troupes de passage en tant qu'éclaireur. Jean Marie Moitrot: Mais cela ne l'empêchera pas d'avoir une conduite courageuse pendant la guerre raconte sa nièce: ainsi à Epinal, lors du bombardement de la gare où il y eut de nombreux morts et blessés et d'où toutes les bénévoles de la Croix-Rouge s'étaient enfuies, qui était là sous la mitraille ? Georges avec le curé ! "Vous êtes courageux", dit Georges au curé Les fêtes foraines reprennent dès la libération et il faut une quantité importante de cartons car il y a abondance de chansons nouvelles. La musique de l'après-guerre s'adapte très bien sur les orgues. Sa nièce, poursuit ainsi: En 1947, Georges dut affronter les inondations qui noyèrent l'atelier établi sur les rives du Madon. Il avait plu des jours et des jours et mon oncle déménagea les locaux. Des gens étaient venus se mettre à sa disposition spontanément. Il ne s'est pas couché pendant 4 jours. Le local regorgeait d'instruments, des patraques comme il disait, que les forains mettaient en dépot vente". L'arrivée du pick-up sonne le déclin puis le glas de la
facture d'orgue.
Alain Vian qui tient boutique au n°8 de la rue Grégoire de Tours à Paris depuis 1946 pour le sauvetage de ces instruments d'un autre temps, rachète en 1957 la totalité du fond de commerce de Georges (documents, outillage, instruments de musique) . L’histoire des facteurs d’orgues Poirot se termine donc ainsi, 150 ans après la fondation de la Maison Poirot par Nicolas Poirot.
En complément, voir l'article de presse de la Liberté de l'Est - 1946. Tombe de la famille Poirot à
Mirecourt
L'atelier et la maison Poirot, côté jardin (mai 1929) Un établi de lutherie de l'atelier Poirot Que l'on retrouve sur cette planche extraite de l' "Encyclopédie" de Diderot et D'Alembert publié entre 1751 et 1772 Sources: E. Bonetat, Jean-Marie Moitrot (via Dominique Debut), Internet... Photos du fond familiale et B. Poirot Mis en forme et complété par Bertrand Poirot. |
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